L’approbation de la Loi Grammont en 1850 entraîna des vélléités d’interdiction des corridas en France, soulevant l’indignation des populations concernées. À Nîmes, le torero Mazzantini fut expulsé de France en 1895, à Dax Félix Robert fut emprisonné, mais jamais l’interdiction ne fut réellement observée.
Prenant en compte la volonté populaire exprimée notamment par la protestation connue comme la « Levée des Tridents » à Nîmes en 1921, cette loi très jacobine fut amendée par les députés en 1951, pour exclure la corrida du champs d’application de la loi et instaurer en sa faveur une exception culturelle.
Limitée aux « régions de tradition locale ininterrompue », cette exception culturelle a fait l’objet d’une volumineuse jurisprudence aujourd’hui définitive, depuis que le Conseil Constitionnel l’a jugée conforme à la Constitution.
« Entre le Pays d’Arles et le Pays Basque... »
Contrairement à une idée reçue, la loi Grammont n’a pas pour objet ou vocation de réglementer les spectacles taurins. Dans l’esprit de son initiateur, elle était motivée par la volonté de protéger les chevaux qui tiraient des chariots surchargés ou des fiacres pendant vingt heures d’affilée, encaissaient des coups, manquaient de nourriture, et mouraient souvent dans la rue, épuisés par de trop lourdes charges. Jacques Delmas, comte de Grammont, général et député sous Napoléon III, fit donc voter par l’Assemblée nationale législative, le 2 juillet 1850, la loi dite loi Grammont : « Seront punis d'une amende de cinq à quinze francs, et pourront l'être d'un à cinq jours de prison, ceux qui auront exercé publiquement et abusivement des mauvais traitements envers les animaux domestiques ».
Parallèlement, en 1852 et 1853 l'auteur de cette loi de protection des animaux présida les premières corridas de Bayonne aux côtés de l'impératrice Eugénie de Montijo.
Cent ans plus tard, suite à de nombreuses péripéties aux procédures, le législateur confirmera expressément que les corridas ne sont pas concernées par la loi Grammont, en ajoutant un alinéa au texte initial au travers de la loi n° 51-461 du 24 avril 1951 :
« La présente loi n’est pas applicable aux courses de taureaux lorsqu’une tradition ininterrompue peut être invoquée ».
Il est important de souligner que ce texte va subir 9 refontes législatives sans jamais remettre en cause l’exception de la corrida.
La portée du texte va être élargie aux mauvais traitements à animaux commis « publiquement ou non » par le Décret n° 59-1051 du 7 septembre 1959 sans remettre en cause l’exception tauromachique qui demeure à l’article R38 du code pénal.
La Loi n° 63-1143 du 19 novembre 1963, relative à la protection des animaux, maintiendra l’exclusion taurine en réécrivant le texte à l’article 453 du code pénal.
La loi n° 64-690 du 8 juillet 1964 rajoutera l’exception des combats de coqs.
La loi n° 76-629 du 10 juillet 1976 ajoutera aux actes de cruauté visés par le texte « les sévices graves » sans revenir sur l’exception de la corrida.
La loi n° 92-1336 du 16 décembre 1992, relative à l'entrée en vigueur du nouveau code pénal et à la modification de certaines dispositions de droit pénal, créera l’article 511-1 sans remettre en cause l’exception légale de tauromachie.
La Loi n° 94-653 du 29 juillet 1994, relative au respect du corps humain crée un chapitre unique intitulé : « Des sévices graves ou actes de cruauté envers les animaux ». Les articles 511-1 et 511-2 du code pénal deviennent respectivement les articles 521-1 et 521-2 sans subir de modifications.
Une nouvelle version du texte issue de la loi n° 99-5 du 6 janvier 1999, relative aux animaux dangereux et errants et à la protection des animaux, ne remettra pas en cause l’exclusion de la tauromachie.
La loi n° 2004-204 du 9 mars 2004, portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité conservera l’exception taurine.
Enfin, la version issue de l’ordonnance n° 2006-1224 du 5 octobre 2006, prise pour l'application de l'article 71 de la loi n° 2006-11 du 5 janvier 2006 d'orientation agricole, maintient l’alinéa 7 du texte.
Évolution jurisprudentielle
L’évolution législative du texte s’est accompagnée au fil des ans d’une évolution jurisprudentielle venant définir la tradition taurine et son périmètre géographique.
Cass. Crim., 27 mai 1972, n° 72-90875 Le Grau-du-Roi
« En bornant leur recherche de l’existence ou de l’inexistence d’une tradition locale ininterrompue au seul territoire d’une commune, alors que dans le texte précité l’expression "locale" a le sens "d’ensemble démographique", les juges du fond, qui d’ailleurs énoncent d’autre part que le Grau-du-Roi appartient géographiquement "a une région de tradition taurine", n’ont pas donné une base légale a leur décision »
Cour d’appel de Toulouse, 1ère ch., 3 avril 2000 Rieumes
« Attendu qu'il ne saurait être contesté que dans le midi de la France, entre le pays d'Arles et le Pays basque, entre garrigue et Méditerranée, entre Pyrénées et Garonne, en Provence, Languedoc, Catalogne, Gascogne, Landes et Pays basque existe une forte tradition taurine qui se manifeste par l'organisation de spectacles complets de corridas, de manière régulière dans les grandes places bénéficiant de structures adaptées permanentes, et de manière plus épisodique dans les petites places à l'occasion notamment de fêtes locales ou votives ; Attendu que la seule absence ou la disparition d'arènes en dur qui peut résulter de circonstances diverses ne peut donc être considérée comme la preuve évidente de la disparition d'une tradition qui se manifeste aussi par la vie de clubs taurins locaux, l'organisation de manifestations artistiques et culturelles autour de la corrida et le déplacement organisé ou non des "aficionados" locaux vers les places actives voisines ou plus éloignées; Attendu que le maintien de la tradition doit s'apprécier dans le cadre d'un ensemble démographique ; »
Cour d’appel de Douai, 18 septembre 2007, n° 07/784
« Attendu que la tradition locale doit s'apprécier au sens régional de la coutume et s'étendre au-delà des limites territoriales de la commune dans laquelle les combats sont organisés, dès lors que celle-ci s'inscrit dans un ensemble démographique uni par la même culture à l'origine de la manifestation ; »
Cour d’appel de Pau 26 mars 2015 14/00439
« Attendu que ces injures publiques ont été prononcées à l'encontre d'un groupe de personnes unies par un sentiment d'identité et de continuité au regard de la tradition locale de la pratique coutumière de la corrida inscrite à l'inventaire du patrimoine immatériel national et ont dès lors été dirigées contre chacune des parties civiles qui a pu s'en sentir personnellement atteinte et qui dispose, en vue de leur répression, d'une action individuelle »
En 2011, la tauromachie a été inscrite par l’État français au patrimoine culturel immatériel.
On entend par patrimoine culturel immatériel l’ensemble des pratiques, expressions ou représentations qu’une communauté humaine reconnaît comme faisant partie de son patrimoine, dans la mesure où celles-ci procurent à ce groupe humain un sentiment de continuité et d’identité. Ces pratiques concernent principalement, mais de manière non exclusive, les traditions orales, musicales ou chorégraphiques, les langues en tant que supports de ces traditions, les jeux et sports traditionnels, les manifestations festives, les savoir-faire artisanaux, les savoirs et savoir-faire liés à la connaissance de la nature ou de l’univers. L’implication des personnes ou groupes porteurs d’un patrimoine culturel immatériel est la condition première de la sauvegarde de ce patrimoine, conformément aux objectifs de la convention.
La légitimité et la légalité de la tauromachie a par ailleurs été affirmée par la plus haute juridiction de l’État, le Conseil Constitutionnel dans sa décision DC n° 2012-271 QPC du 21 septembre 2012.
« Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité doit être rejeté ; que la première phrase du septième alinéa de l'article 521-1 du code pénal, qui ne méconnaît aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclarée conforme à la Constitution,
D É C I D E :
Article 1er.- La première phrase du septième alinéa de l'article 521-1 du code pénal est conforme à la Constitution ».
a le sens
« d’ensemble
démographique » « La tradition locale doit s’apprécier au sens régional
de la coutume... » « ... un groupe de personnes unies par un sentiment d’identité et de continuité au regard de la tradition locale de la pratique coutumière de la corrida inscrite à l’inventaire du patrimoine immatériel national... »